Moncef Ben Slimane répond
à Me A. Dakhlaoui
Je n’apprécie déjà point votre rubrique hebdomadaire « les échos du Palais » pour la simple raison que je trouvais trop facile les prouesses d’une plume qui exposait à la risée des lecteurs du dimanche de pauvres voleurs à la tire.
Je m’étonne aujourd’hui, Me Dakhlaoui, que vous parliez de diffamation. Relisez-vous, je vous en prie.
Je ne tiens pas à donner suite à
votre polémique et à vos insinuations. Je ne vous répondrai pas sur
l’itinéraire politique du Dr Slimane Ben Slimane. Il est fait et consigné dans
l’histoire du Mouvement national et du Mouvement démocratique et progressiste,
et n’a nul besoin d’avocat ni de plaidoirie. Une relecture du Mouvement
national est en train de se faire timidement... Elle rencontrera sûrement encore
des difficultés, soulèvera des passions, mettra à nu de vieilles meurtrissures
et dérangera ceux que l’hagiographie officielle a installés dans un confort
moral... parfois non mérité, il ne s’agit pas aujourd’hui de tribunaux populaires,
ni d’aveux télévisés, simplement d’une réconciliation avec notre Histoire dont
on a été spolié. Une Histoire à réécrire sans rancune, ni vindicte, mais aussi
sans omissions, ni fausses compassion. Vous avez jugé bon de déplacer ce débat
devant
Deux derniers mois M’ Dakhlaoui : Primo En politique, nul n’est à l’abri de taux pas, de taux calculs, et de faiblesses. Les reconnaitre grandit les vrais militants et procureur sérénité et paix à la conscience.
Secondo : Vous avez manqué de respect au Dr Slimane, Ben Slimane. Chose que le procureur militaire colonialiste de Guérin de Cayla n’a pas osé faire.
Je vous dis franchement qu’eu égard à votre âge, je me suis retenu de vous répondre à la place du défunt. S’il vous plait, ne m’obligez pas à aller voir encore plus dans les archives...
A propos d’une rencontre avec
Slimane Ben Slimane
Par Dr Slaheddine Tlatli
Il est réconfortant de suivre les débats, souvent passionnés, qui se sont institués dans les colonnes de votre journal à propos du livre posthume de Slimane Ben Slimane, parce qu’ils révèlent tout l’intérêt que notre peuple, sevré pendant un tiers de siècle de la connaissance exacte de son histoire devenue un article de la propagande bourguibiste, porte aujourd’hui à la découverte de son passé national récent.
Mais, comme je l’ai écrit par
ailleurs (« Il faut démystifier l’Histoire » «
« REALITES » N°198 DU 2 AU 8 JUIN 1989
•
Des souvenirs politiques passionnés
C’est dans le cadre de ces témoignages, malheureusement presque toujours entachés de subjectivité et qui sont souvent des plaidoyers « pro domo », que s’inscrivent les « souvenirs politiques » de Slimane Ben Slimane qui fut à la fois témoin et plus ou moins acteur des événements qu’il rapporte.
Certes, on ne peut s’empêcher de manifester à l’homme, quelle que soit la partialité de ses opinions, une grande estime pour les souffrances et les épreuves qu’il a endurées, des années durant, pour la défense de ses convictions politiques mises au service de la cause nationale.
Cela est incontestable.
Par contre, son témoignage, lui est celui d’un esprit passionné, tranchant, sectaire, d’un esprit qui croit détenir seul et sans partage le monopole de la vérité et qui s’érige souvent en juge suprême du patriotisme, est à prendre avec beaucoup de prudence et de réserve.
Néanmoins, les faits qu’il rapporte ne manqueront pas, lorsque les historiens les auront soumis au crible rigoureux de la critique historique, d’apporter plusieurs éléments précieux d’appréciations sur de nombreuses zones d’ombre, en particulier sur les querelles intestines auxquelles il a participé qui ont déchiré les dirigeants du Néo, au cours de cette phase décisive de notre destin.
Mais ses silences et ses omissions sur le rôle joué par le Vieux Destour, sur celui joué par Salah Ben Youssef et même sur l’assassinat de celui qui fut, de longues années durant, son compagnon de lutte et de détention, ne manquent pas de laisser perplexe et de révéler un parti pris probourguibiste impénitent.
Quant à ses jugements sur les
hommes, le moins qu’on en puisse dire est qu’ils manquent de nuances et qu’ils
portent souvent mais pas toujours à la légère des accusations diffamatoires,
aussi abruptes qu’infondées. Ceux qui ont le malheur de ne pas partager ses
options politiques risquent ainsi de se retrouver dans l’une de ses catégories
infamantes de « informateur de la police » d’ « agent de
• Rencontre à propos du
Front national
Je voudrais, à titre d’exemple, apporter quelques précisions sur la seule rencontre que j’ai eue avec l’auteur, qu’il rapporte en ces termes à la page 318
« Brève collaboration avec le
Vieux Destour. Au milieu de l’année 1951, le Vieux-Destour m’invita à une
réunion pour la création du Front national. Je trouvais à cette réunion en
particulier le fameux Fadhel Ben Achour, de toutes les sauces, « l’agent de
« Après quelques péripéties et une réunion de triste souvenir dans mon cabinet entre Salah Farhat, Ben Mahmoud, Fadhel Ben Achour et moi-même je rompis ce contact avec des éléments douteux parce que ces messieurs n’avaient pas l’intention de créer un front national, mais un front anti-néo destourien. En effet, dans ma dernière réunion avec eux au Bureau de Me Salah Farhat, rue d’Angleterre, j’avais proposé le contact avec le Néo parce qu’il n’était pas convenable de créer un front national sans la participation du grand parti Néo-Destour. Quelques uns se mirent à faire des allusions sarcastiques : « Alors, il faudra inviter Salah Ben Youssef » qui était à ce moment en pleine collaboration avec le colonialisme au ministère Chenik.
— « Et pourquoi pas ? Si le Néo le désigne pour faire partie de ce front. En tout cas, si vous voulez faire un front national, il faudra inclure le Néo, mais si vous voulez faire un front anti-Néo, je ne suis pas d’accord » Et je quittais la salle avec un grand soupir de soulagement.
« Dans la rue je sentais que je venais d’échapper à une compromission. J’étais très heureux d’être sorti indemne d’une manœuvre où des éléments douteux voisinaient avec des éléments destouriens ».
« REALITES » N°198 DU 2 AU 8 JUIN 1989
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La conjoncture politique
Pour comprendre les motivations de cette réunion, il est opportun de la replacer très brièvement dans sa conjoncture politique.
Depuis près de cinq ans,
c’est-à-dire peu après le Congrès de
Presqu’aussitôt la masse
importante des quatorze mille étudiants de
Les agressions contre le Cheikh Et Fadhel Ben Achour, contre le Cheikh Mokhtar Ben Mahmoud que je dénonçais (« Indépendance » 17-5-51) ainsi que les attaques contre les manifestants zitouniens, fustigées par mon camarade le Dr Ahmed Ben Milad (« Le fascisme en action » «Indépendance» 17-5-51) ne firent que renforcer notre conviction sur la nécessité de concrétiser au plus tôt cette union nationale que je formulais dans l’éditorial « S’unir pour se libérer », « Indépendance » 24-5-51) : « Autour d’une idée-force que nous avons eu l’honneur de défendre, ici même et dont notre journal fait sa devise « Pour un Front national, pour l’indépendance et contre la collaboration » des hommes venus d’horizons politiques différents, éloignés par leur formation culturelle et leur origine sociale se sont rencontrés, se sont groupés, pour mettre en commun la richesse de leur foi patriotique et de leur bonne volonté au service de la cause tunisienne. « Ils ont lancé, convaincus qu’ils faisaient l’ultime geste pour sauver leur pays en pleine dérive, un appel à tous les patriotes tunisiens sans exception et sans exclusive que celle de la fidélité au principe qui a donné naissance ce mouvement... etc. ».
• Une demande en mariage avortée
C’est donc dans ce contexte
unificateur de toutes les potentialités politiques patriotiques que nous fûmes
amenés, au début de mai 1951, à prendre contact avec un certain nombre de
personnalités tunisiennes parmi lesquelles figurait le Dr Slimane Ben Slimane.
La seule réunion au cours de laquelle je le rencontrais eut lieu au Bureau de Me
Salah Farhat, rue d’Angleterre. Y assistaient Me Salah Farhat et moi-même, pour
le Destour et le Cheikh Fadhel Ben Achour, pour le Front national, auquel il venait
d’adhérer. Le Cheikh Fadhel, une des lumières de l’islam Contemporain,
président de
Nous exposâmes donc à notre hôte les objectifs de notre mouvement en des termes qui semblèrent le convaincre. Il faut dire qu’à cette époque, ayant été exclu du Néo-Destour par Bourguiba, en mars 1950, et flirtant ostensiblement avec le parti communiste, auquel il devait bientôt se rallier, il semblait hésitant et cherchait son chemin. Brusquement, il déclara, comme pour trouver une porte de sortie :
« REALITES » N°198 DU 2 AU 8 JUIN 1989
— « Et le Néo-Destour fera-t-il parti du Front? »
— « Comment, lui répondis-je, un parti qui collabore en la personne de son secrétaire général avec le gouvernement peut-il adhérer à un Front national, dont une des raisons d’être est de combattre la collaboration? Et puis êtes-vous encore qualifié pour parler au nom de ce parti ?»
Il sembla désarçonné par ces arguments et mit fin à l’entretien en disant « Je vais y réfléchir ». Mais à aucun moment je n’entendis « Je ne suis pas d’accord », ni « un grand soupir de soulagement ». Quelques jours plus tard, mon anti Salah Farhat m’apprit qu’il avait donné une réponse négative.
Tel fut l’essentiel de cette fameuse scène de demande en mariage, avortée.
Mais nul ne songea, comme il semble le croire, à porter atteinte à la virginité politique d’éventuelle fiancée qui s’en tira « indemne » de cette périlleuse tentative d’union.., nationale.
Le principal intérêt de cet épisode, somme toute assez mince, est qu’il nous éclaire sur les procèdes méthodologiques utilisés fréquemment dans cet ouvrage.
A partir d’éléments véridiques, racontés à peu près fidèlement, l’auteur tire souvent des interprétations tendancieuses qui réduisent sérieusement la valeur de son travail. Il est regrettable qu’il ait disparu avant le 7 novembre. Plusieurs de ses jugements sans appel auraient peut- être été révisés dans un sens plus conforme à la vérité historique après la chute de son idole et de ses thuriféraires.
« REALITES » N°198 DU 2 AU 8 JUIN 1989