Me Ammar Dakhlaoui attaque
en justice
MM. Moncef Ben Slimane et
Mohammed Ben Smail
« Soupçonné de collaboration»,
cette fatidique appréciation de feu Docteur Slimane Ben Slimane dans ses «
Souvenirs politiques », au sujet de Me Ammar Dakhlaoui, va peut-être provoquer
un procès inédit dans les annales judiciaires et politiques de
En principe le procès s’ouvrira ce 3 Juin. Accusés MM. Mohamrned Ben Smaïl, l’éditeur du livre et Moncef Ben Slimane fils de l’auteur et responsable de la publication des mémoires de son père. Me Dakhlaoui demande réparation morale et pécuniaire qu’il estime à 100.000 Dinars.
Dakhlaoui, Ben Smail et Ben Slimane devant les tribunaux? Nous ne voulons pas croire que la chose sera possible. Ils sont tous les trois de bons patriotes et des Tunisiens fort honorables. N’y a-t-il pas d’autres moyens pour que réparation soit faite ? Hassine Raouf Hamza, historien, introduit ci-après le « procès ». Et, comme d’habitude, nous donnons la parole aux deux principaux protagonistes, notre ami Si Mohammed Ben Smaïl, et l’accusateur, notre ami aussi, Me Ammar Dakhlaoui. A nos lecteurs maintenant de se faire une idée,
Un procès
de trop?
Par Hassine Raouf
Hamza
J’ai publié récemment dans « Le Maghreb » une série d’articles sur S. Ben Slimane. Je ne l’ai pas fait seulement en tant que quelqu’un qui a toujours cherché dans l’Histoire, par delà les petits faits et « les grandes vérités », la passion des hommes, leur vécu, leur imaginaire, leur perception des êtres et des choses et leur rapport avec le Politique, le Sacré, l’irrationnel, etc... Je l’ai fait aussi et je ne m’en cache pas parce que j’ai toujours eu une grande admiration pour cet homme qui a appris à beaucoup de jeunes de ma génération le sens de l’honneur, de la droiture et de la générosité. Les « Souvenirs politiques » — je l’ai écrit — plein de vie... de parler-vrai... de parler-droit... Ce qu’il dit, il le dit toujours sincèrement. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne se soit jamais trompé sur le compte de certains hommes ou qu’il ait toujours vu juste... De surcroît, et il ne faut pas le perdre de vue, B. Slimane a vécu une période trouble et tumultueuse de notre histoire et il s’est trouvé mêlé à des situations et à des événements qui ne sont pas toujours faciles à vivre ou à discerner... Il faut se rappeler les conditions de lutte de ces militants,.., le noyautage de la police, les coups fourrés, les coups bas, les lâchetés... l’intox... Bref toute une atmosphère de méfiance et de suspicion pleine de rumeurs, aussi, sur les uns et les autres... Rumeurs qui s’avérèrent des fois vraies ou à moitié vraies.., des fois aussi tout à fait erronées... B. Slimane était au milieu de tout cela, en plein dans l’action, et il n’avait pas toujours le temps... de s’assurer ou de disséquer tout ce qui se disait ou se médisait autour de lui. Je dis cela car je crois qu’il faut resituer les propos de B. Slimane en rapport avec le contexte historique et « le milieu militant » de l’époque et en rapport aussi avec le personnage de leur auteur...
Bien sûr que cela ne peut pas tout justifier... Dernièrement Me Dakhlaoui, mis en cause dans quelques uns des passages de ce livre a décidé d’intenter un procès contre l’éditeur et la famille B. Slimane pour diffamation.
« Le Maghreb » N°153 – Vendredi 26 Mai 1989
Je ne connais pas Me Dakhlaoui... je ne sais pas beaucoup de choses sur lui, je sais toutefois qu’il a défendu beaucoup de nationalistes et qu’il a été même arrêté lors de la tenue du congrès d’Août 46. Du reste B. Slimane le rappelle aussi dans ses mémoires. Je sais aussi qu’il a été à un moment donné l’objet de quelques rumeurs insistantes dans les milieux nationalistes. On les retrouve du reste, aussi, dans ces mêmes mémoires de B. Slimane. Je ne sais pas si elles sont fondées... Personnellement, ce genre de détails ne m’intéresse pas spécialement. Mais je comprends que ces propos aient pu offenser et blesser Me Dakhlaoui. Je comprends aussi sa réaction. Il veut s’expliquer.., il a des arguments... des pièces à verser. C’est bien. L’opinion jugera... Il parle même d’écrire ses mémoires, c’est encore mieux. L’occasion lui est enfin offerte donc de se défendre et peut-être pourquoi pas de lever définitivement le voile... d’en finir avec de vieilles suspicions, les murmures et les chuchotements, les petits sourires et les phrases assassines... Tout cela, en fin de compte, grâce à B. Slimane.
C’est tout de même pas si méchant... pas si moche. Me Dakhlaoui qui a toujours fait ses preuves d’avocat et qui a souvent gagné les affaires qu’il avait plaidées devant le prétoire a pour une fois bien des raisons de chercher, à gagner son affaire... en dehors du prétoire car il n’est pas sans savoir que s’il peut peut-être gagner son procès, il ne pourra jamais faire taire les rumeurs et les mauvaises langues... Et que le mieux est de s’expliquer... avec un peu de recul, un peu... de sagesse aussi... et à cet âge-là je crois qu’on ne peut pas ne pas en avoir... Après tout les hommes aux mains tout à fait pures... je ne sais pas... si cela existe sur terre... même si Ben Slimane le pense... et le prouve.
Je crois vraiment que ce procès est de trop... pour Ben Slimane sûrement... qui en est maintenant à son quatrième procès... le premier remonte déjà à plus d’un demi-siècle… Pour l’édition aussi... et surtout pour un certain type d’écrits — en l’occurrence les mémoires historiques — qui en sont encore à leurs premiers balbutiements et à leurs premiers tâtonnements aussi...
INTERVIEW
Me AMMAR DAKHLAOUI
A la guerre comme à la
guerre
« Le Maghreb» : Qu’est ce qui vous a le plus décidé à intenter une action en justice?
Ammar Dakhlaoui : Je ne me suis jamais intéressé aux publications de «l’après guerre» où, souvent, l’histoire est malmenée au détriment des milliers de héros qui avaient exposé ou perdu leur vie pour délivrer le pays.
De sorte que lorsque Maître
Hamadi Snoussi, ancien premier président du Tribunal Administratif et ancien
ministre de
Après tout ce n’est pas moi qui avais chassé l’intéressé, du parti, comme un bien propre.
La décision venait de ses collègues, sur proposition motivée de Maitre Salah Ben Youssef.
Revoyez l’histoire qu’a fait, «l’exclu», par la suite, de 1950 à 1956 pendant que d’autres luttaient, l’arme au poing bravant la torture et la mort?
Je ne veux pas m’attaquer à un mort mais ceux qui ont publié ses mémoires auraient dû avoir la pudeur de les élaguer conformément à la probité.
« Le Maghreb » N°153 – Vendredi 26 Mai 1989
Mais il faut croire que le business aveugle parfois... Je ne fus donc pas affecté outre mesure.
Mais les amis et les anciens clients reconnaissants me rendirent visite ou me téléphonèrent pour m’inciter à donner une leçon aux diffamateurs éhontés. D’où cette affaire...
Ayant su ce que le Dr. Ben
Slimane a écrit à votre égard, jugez-vous qu’il s’agit là de mensonge, de
dénigrement, de déformation de la vérité ou bien d’un règlement de comptes?
Il s’agit de tous ces éléments en même temps. Je compte les expliquer et disséquer prochainement dans un livre si je trouve un éditeur intellectuel au dessus de tout soupçon.
Mais s’attaquer à un mort ne serait peut-être pas très élégant. Cependant à la guerre, comme à la guerre. «alea jacta est », comme disaient les Romains,
* Le Docteur Bon Slimane étant patriote irréprochable et actuellement décédé, une mise au point n’aurait elle pas suffi?
Quelle mise au point? Il s’agit d’un livre imprimé et vendu dans toutes les librairies, sans compter sa diffusion par les médias (presse et télévision),
* A la
lecture du journal «
Je refuse de répondre à cette question, n’étant pas imprimeur d’affiches...
Voilà pourquoi Maître
Habib Bourguiba n’a pas été radié de l’ordre des Avocats
Le Conseil de l’ordre, présidé par le Bâtonnier Edmond Boccara, s’est aperçu après le 18 janvier 1952 qu’il pouvait, conformément au code de déontologie de la profession prononcer la radiation de Maître Habib Bourguiba du fait qu’il avait oublié de payer ses cotisations depuis 1944.
Le Bâtonnier Boccara m’ayant prévenu, la veille de la réunion du Conseil de l’ordre, je me hâtais de régler au Trésorier de l’ordre les cotisations en retard soit pour les années de 1944 à 1952.
C’est pourquoi le Bâtonnier fut
décoré, après l’indépendance. de l’Ordre de
MOHAMMED BEN ISMAIL
L’éditeur du livre
Il existe d’autres procédés
Je ne connais pas bien Si Ammar Dakhlaoui. Mais nos relations, pour lointaines qu’elles soient, ont toujours été, que je sache, cordiales. Je n’ai, par conséquent, aucun parti pris personnel dans cette affaire, c’est une évidence.
Il se trouve que l’auteur du livre en question, feu Slimane Ben Slimane, a un style propre à lui et une manière parfois abrupte de traiter les sujets, notamment quand il est amené à citer des noms. Et il en cite par dizaines...
« Le Maghreb » N°153 – Vendredi 26 Mai 1989
Nous avions le choix entre trois solutions:
1) rester fidèle au manuscrit et publier cet important témoignage historique avec ses imperfections d’écriture ou factuelles;
2) renoncer à cette publication;
3) censurer l’ouvrage ou le caviarder.
Mon tempérament personnel autant que mes obligations professionnelles excluent la troisième solution.
Si j’avais commandé ce livre, j’aurais sans doute formulé des exigences de forme et de fond. Ce n’est pas le cas.
C’est pourquoi, sans partager nécessairement ce qui y est dit, en ma qualité d’éditeur j’ai finalement décidé de publier ce livre. Je comprends la réaction de Me Dakhlaoui et je dis simplement: «dommage ». Je pense qu’il existe d’autres procédés, (honorables et dignes) qu’un procès pour réparer un éventuel préjudice moral.
«Rayez cet avocat de la
profession ou bien suspendez-le jusqu’à la fin des hostilités»
C’est ainsi que s’exprimait, dans
une demande écrite le général Bergeron, Commandant Supérieur des Troupes de
Tunisie volant au secours d’un officier de police français de
« Le Maghreb » N°153 – Vendredi 26 Mai 1989