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L’Histoire en procès

01/06/1989 Article en PDF téléchargeable


Le monde de l’édition et celui des historiens ont été ébranlés par la nouvelle : Me Dakhlaoui s’estimant diffamé par le livre de Slimane Ben Slimane, intente un procès à l’éditeur M. Mohamed Ben Ismaïl et au fils de l’auteur, Moncef Ben Slimane.


L’Histoire en procès

Par Taieb Zahar

 

 

 

Le monde de l’édition et celui des historiens ont été ébranlés par la nouvelle : Me Dakhlaoui s’estimant diffamé par le livre de Slimane Ben Slimane, intente un procès à l’éditeur M. Mohamed Ben Ismaïl et au fils de l’auteur, Moncef Ben Slimane.

Cette affaire pose le problème de l’écriture de l’histoire contemporaine. A l’ombre d’un prince peut-on dire la vérité ? Quand un historien a une ambition politique peut il s’astreindre à l’objectivité ?

Dans les pays démocratiques, la multiplicité des sources, l’indépendance réelle ou relative des chercheurs font que l’histoire récente est plus ou moins connue avec certainement des « trous noirs » engendrés par la notion de sécurité et d’intérêt national.

Pour ce qui concerne les pays du Tiers-monde, on imagine très mal l’histoire récente rapportée avec objectivité pour des raisons que tout le monde connait : mégalomanie du pouvoir, divinisation du prince, prisons dans l’attente de l’historien contestataire, appât de l’argent, documents non disponibles etc. Tout cela fait que l’histoire officielle récente n’a pas de grande affinité avec le réel. Mais qu’en est-il en Tunisie ?

Selon nous, le pays a conservé une partie de la mémoire auquel il a ajouté un peu de vernis et a perdu un pan de son passé par le fait que de grandes personnalités ont été jetées dans la trappe. Les livres de M. Sayah concernant l’histoire nationale ne sont ni vrais, ni faux. Ils comportent des faits réels, mais aussi de grandes lacunes volontaires qui autorisent tous…

les jugements concernant l’esprit partisan de « l’auteur » et du groupe qu’il a dirigé. Il ne s’agit donc pas d’aller dans le sens inverse pour pouvoir dire que Bourguiba n’a pas joué un rôle extrêmement important dans la libération de la Tunisie, il s’agit aujourd’hui de commencer à réécrire l’histoire en donnant à tous les protagonistes l’importance réelle qu’ils ont eue. Mohamed Sayah a omis un certain nombre de faits et a interprété des documents pour faire plaisir au Président. Il a fait dévier l’histoire vers certains faits plutôt que d’autres et le a interprétés toujours à l’avantage du prince. Il a contribué ainsi à instaurer le culte de Bourguiba et à dessiner la mythologie du chef par opposition à la « poussière d’individus ». Ceci a eu pour effet de mettre en marche un processus où il y avait d’une part un leader et de l’autre des serviteurs puisque la Tunisie avait une dette envers le seul et unique combattant suprême : l’ancien président voulait qu’on lui présente le drapeau de la Tunisie baissée au

 

« REALITES »N° 197 DU 26 MAI AU 1ER JUIN 1989

moment de la présentation des armes de même qu’il a choisi un nouvel hymne national dans lequel figurait le nom d’El Habib.! L’effet Sayah a donc eu des répercussions extrêmement négatives sur la vérité historique et sur la mémoire collective des Tunisiens puisque de très brillantes personnalités qui ont été à l’origine de la libération du pays ont été « gommées ». il y a donc eu une triple déviation qui a mis à l’ombre des milliers de personnes aux niveaux :

— du mouvement syndical et de sa participation à l’acquisition de l’indépendance, Farhat Hached apparaît comme un personnage accessoire, alors qu’il fut un géant.

— du mouvement national féminin qui a vu le rôle de milliers de femmes négligé et en particulier Bchira Ben M’rad qu’on surnommait « La mère de la Tunisie »

— du mouvement politique qui a dévalorisé l’apport de centaines de milliers de patriotes et parmi eux Ben Youssef.

Réalités ouvre ce délicat dossier en demandant à ses lecteurs d’y participer, sans chercher à minimiser le rôle de Bourguiba, mais en faisant apparaître les figures oubliées. Car Mohamed Sayah, pour plaire au président et pour accéder aux plus hautes marches du pouvoir. a écrit à sa manière l’histoire. Il a donc utilisé d’une certaine manière une méthode stalinienne qui fait la part belle au chef omettant d’écrire que Bourguiba avait trouvé un parti, des structures, des hommes et un peuple mûr pour exiger l’indépendance. L’histoire a selon nous été largement faussée. Mohamed Sayah avait trouvé le créneau pour se rapprocher de Bourguiba tout en l’enfermant dans une logique qui a abouti à des événements tragiques dont le dernier est l’obstination maladive de Bourguiba à vouloir liquider les islamistes influencé qu’il était par cet entourage qui invoquait justement l’histoire et le prestige de l’ex président qui ne devrait souffrir d’aucune critique et d’aucun jugement.


« REALITES »N° 197 DU 26 MAI AU 1ER JUIN 1989