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Les héros sont en forme

01/01/1970 Article en PDF téléchargeable


Depuis la retraite de Bourguiba la Tunisie a connu une véritable prolifération de héros. S’il nous est loisible de dénombrer quelques résistants célèbres qui étaient des figures de proue jetées dans l’oubli, il nous est possible aussi de dresser la liste interminable de gens qui ont mangé à tous les râteliers et qui exhibent aujourd’hui leurs brevets de patriotes de la première heure.


Les héros sont en forme

 

Par Kamel CHERIF

Depuis la retraite de Bourguiba la Tunisie a connu une véritable prolifération de héros. S’il nous est loisible de dénombrer quelques résistants célèbres qui étaient des figures de proue jetées dans l’oubli, il nous est possible aussi de dresser la liste interminable de gens qui ont mangé à tous les râteliers et qui exhibent aujourd’hui leurs brevets de patriotes de la première heure.

 C’est fou le nombre de soldats inconnus qui travaillaient dans l’ombre et qui risquaient chaque jour leurs précieuses vies et qui se révèlent à nous aujourd’hui, c’est à croire que ce pays ne savait pas produire de traîtres, et que la race des félons est inconnue sur cette terre.

Les Français, la veille de leur départ, se sont, paraît-il, hâtés de mettre à l’abri certains registres et ils cultivent suffisamment la discrétion, cette autre forme de l’élégance, pour garder jalousement ces documents.

 Imaginez un instant que l’on arrive à découvrir ceux qui émargeaient à la Résidence française, les prébendiers, qui tiennent maintenant le haut du pavé et remplissent la place du bruit de leurs faits d’armes, seraient en si mauvaise posture qu’ils feraient pitié.

Qu’ils soient rassérénés et qu’ils continuent à laver dans les prétoires pourvu qu’ils ne lèchent pas le parquet, les Français ne leur feront pas de tort et les Tunisiens ont d’autres maux à soigner et ne sont pas prêts à s’intéresser à des vétilles.

Un policier d’origine tunisienne qui coule des jours tranquilles en France après avoir sévi durement dans les commissariats de Tunis au temps du Protectorat s’est avisé d’intenter un procès au producteur d’un film. Il veut paraît-il, laver son honneur. «Le défi» qu’a produit Monsieur Omar Khlifi et qui n’est pas assimilé par les critiques à une merveille du 7ème art, semble prendre à partie ce policier.

Il faut reconnaître que pour se disculper, outre les documents qu’il est seul à détenir, il arbore le «Nichan El Iftikhar» décoration qu’on décernait avec une générosité qui frise la prodigalité.

Et puisque certaines personnes croient que les bons sentiments créent les œuvres littéraires, une multitude de gens se sont découverts sur le tard des vocations de mémorialistes. Ils s’affairent, s’agitent recueillent des manuscrits épars et s’apprêtent à rétablir la vérité historique. Puissent les talents s’exprimer, même les plus douteux.

Si Ben Slimane et Materi, ces hommes probes, protagonistes de notre histoire ont consigné des faits, décrit des situations et brocardé quelques acteurs ou cloué au pilori des adversaires, nous leur accordons le droit à l’erreur. Ils se sont engagés dans la tourmente, investis dans la lutte qu’il est difficile de leur demander de modérer leurs élans et de jouer aux historiens froids.

D’ailleurs cette catégorie peut-elle exister ?

Et s’il est vrai que Bourguiba a caché de toute sa stature des militants nombreux qui se sont voués corps et âme à ce pays, il n’en demeure pas moins que la légion des comparses surgis de partout et qui pour quelques jours de prison ou pour beaucoup moins tentent d’entrer par effraction dans l’histoire, nous dérangent un tantinet.

 

Nous sommes pris par une certaine fièvre, nous réhabilitons à tour de bras, et chaque jour on déterre des morts oubliés, que Dieu leur pardonne, et on les affuble de vertus insoupçonnées. Quand aura-t-on la décence d’arrêter ce feuilleton tragi-comique. Depuis que Bourguiba se tait, ils ont tous retrouvé le verbe mais qu’ils prennent garde d’autres pourront parler et les confôndre.