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L’affaire Dakhlaoui-Ben Slimane

01/06/1989 Article en PDF téléchargeable


Glissant! C’est le moins qu’on puisse dire de ce terrain, celui de l’histoire du Mouvement national... Un livre, un témoignage, sous forme de mémoires posthumes vient de remettre «à la Une » cette « histoire » « Mémoires politiques » de feu Dr Slimane Ben Slimane un grand acteur de l’histoire nationale, un leader qui a assumé longtemps les premières responsabilités au sein du Néo-Destour, un homme pur et dur à qui la gauche tunisienne aussi doit beaucoup. Ses mémoires ne peuvent pas laisser indifférent


L’HISTOIRE DU MOUVEMENT NATIONAL

 

L’affaire Dakhlaoui-Ben Slimane

 

Glissant! C’est le moins qu’on puisse dire de ce terrain, celui de l’histoire du Mouvement national... Un livre, un témoignage, sous forme de mémoires posthumes vient de remettre «à la Une » cette « histoire » « Mémoires politiques » de feu Dr Slimane Ben Slimane un grand acteur de l’histoire nationale, un leader qui a assumé longtemps les premières responsabilités au sein du Néo-Destour, un homme pur et dur à qui la gauche tunisienne aussi doit beaucoup. Ses mémoires ne peuvent pas laisser indifférent...

Et voilà que, quelques semaines seulement après sa parution, éclate la première « affaire », celle de Me Ammar Dakhlaoui, avocat et nationaliste connu, acteur également de l’époque dont parle Dr Ben Slimane ... Que s’est-il donc passé? Me Dakhlaoui s’est senti diffamé par les propos que le Dr Ben Slimane tient à son sujet. Le Dr Ben Slimane n’a pas mâché ses mots en traitant Me Dakhlaoui de personnage « louche » « d’informateur de la polices » de « compagnon douteux » de Salah Ben Youssef...

Dans le dossier qui suit, les protagonistes de l’affaire parlent, expliquent ou se défendent. Pour des empêchements professionnels, M. Moncef Ben Slimane nous a promis sa contribution prochainement...

A.L.B

 

 

Me DAKHLAOUI  REPOND A SES DETRACTEURS

 

«  LE MORT SAISIT LE VIF »

 

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« Croyants, si un homme de mauvaise réputation vous apporte une nouvelle, prenez soin d’abord d’en vérifier la teneur. vous risqueriez, autrement, de causer du tort à des innocents par inadvertance; ce dont vous auriez ensuite à vous repentir ».

(Traduction Mazigh).

 

M’estimant diffamé par le livre de feu Slimane Ben Slimane, j’ai saisi la justice à l’effet de la voir trancher le litige, suivant le droit et la conscience des magistrats J’attendais donc, sereinement, l’audience fixée à cet effet, lorsque je constatai, dimanche dernier, que les mis en cause, prenant les devants, ont choisi, d’abord, la place publique pour entamer

 

« REALITES » N°197 DU 26  MAI AU 1ER JUIN1989 

 

le combat et préparer leur défense, D’où les honneurs de la première page du journal « La Presse ». La Presse ? Un terrain fort glissant où Monsieur Mahfoudh n’avait pas hésité à s’aventurer, volant au secours de l’éditeur « un intellectuel au- dessus de tout soupçon qui a publié un témoignage posthume s’inscrivant dans la logique d’une liberté d’expression légitime dans le cas d’espèce » (fin de citation).

Si l’on en croit donc Monsieur Mahfoudh (lui-même intellectuel distingué au-dessus de tout soupçon, bien assis sur un fauteuil fort confortable et combien mérité)...

Si, mû par un ressentiment quelconque en écrivant mes Mémoires je signalais à la postérité qu’un certain éditeur ou un certain journaliste n’était pas ce que le commun des mortels pense de lui, puisque je l’aurais accablé de tous les péchés d’Israël. Si un jour, mes héritiers publiaient ces fausses et infâmes accusations à l’encontre de cet honorable éditeur ou journaliste, Monsieur Mahfoudh semble admettre que mes mémoires s’inscriraient dans la logique « d’une liberté d’expression légitime

Je suppose donc que de par leur âge et leurs fonctions (anciennes et récentes) Mohamed Ben Ismaïl et Mahfoudh ne connaissent qu’un seul côté de l’histoire puisqu’ils se sont permis de se contenter d’une seule voix discordante d’un « militant » qui a été chassé du Parti en 1950 et qui n’avait jamais digéré la confiance que m’accordait Salah Ben Youssef, secrétaire général de Néo-Destour et de la position privilégiée que j’avais auprès de celui-ci et des autres leaders.

Comme il a été écrit ailleurs, j’apporte donc le plus méprisant démenti aux ragots débiles et aux assertions fantaisites issus de cerveaux ravagés par la haine et la jalousie »

Mise au point

Monsieur Mahfoudh qui est un intellectuel au-dessus de tout soupçon, n’est pas néanmoins un juriste. Mais il sait cependant qu’en matière de diffamation, il appartient au diffamateur d’apporter la preuve.

Or, ni le diffamateur (Dieu ait son âme !), ni son digne héritier, ni son éditeur ne seront capables de justifier mensonges et calomnies.

Cependant, le vieux diction proclame : « Calomniez, il restera toujours quelque chose... »

Quoi qu’il en soit il, le scandale soulevé par ces élucubrations posthumes a tellement choqué les gens de bonne foi et d’expérience, qu’il en est résulté une bonne affaire pour l’éditeur et son client...

En page 3 de Tunis-Hebdo de lundi dernier, sous le titre « Salman Rushdie déjà en enfer », il est écrit « D’ailleurs, sans ce scandale, ce livre ne serait rien. Plus tard Salman Rushdie se rendra compte qu’il a été le bourricot sur le dos duquel un certain éditeur a transporté une fortune »

« REALITES » N°197 DU 26  MAI AU 1ER JUIN1989 

 

Quant à moi, une certaine gêne m’empêche de proclamer mes faits d’armes connus de tous les résistants inscrit au parti depuis 1931 (Jeunesse libérale), arrêté le 13 septembre 1935 et assigné à résidence dans un bled perdu pendant huit mois.

D’Alger, le Gouverneur général Le Beau prit contre moi et contre Maître Férid Bourguiba un arrêt d’expulsion en juin 1941.

Arrêté le 11 mai 1943, et incarcéré à la prison militaire, je fus libéré, 15 jours plus tard, sur intervention de John Utter, vice-consul des USA, habitant Sidi Bou Saïd. Je commençais une carrière fulgurante au service de tous les résistants, dont les premiers furent accusés de collaboration avec l’ennemi.

 

Le Congrès de l’indépendance

Il était préparé depuis des mois, de sorte que la police française n’avait pas besoin d’un informateur pour connaître le local de « Tronja ». D’ailleurs j’arrivais au congrès dans la voiture de Salah Ben Youssef et en même temps que lui.

D’où les insinuations perfides de l’auteur des Mémoires que mon intimité avec son patron Ben Youssef faisait enrager. Le public appréciera la valeur d’une prétendue lettre au destinataire français inconnu et qui aurait été déchirée pour plaire à ce co-détenu.

Ce dernier s’étant bien gardé de parler de l’incident suivant, je vous le relate aux fins que vous jugez utiles : A la suite de l‘intrusion de la police dans la maison où se déroulait le congrès le 23-8-46, nous fûmes une cinquantaine à avoir été arrêtés et conduits, en camions dans la salle d’audience du tribunal militaire, gardée, au dehors, par des militaires sénégalais qui avaient placé dans la cour, leurs fusils en faisceaux...

Cette situation qui se prolongeait semblait inquiéter quelques uns puisque vers 3 heures du matin, un certain docteur (je ne me souviens pas de son nom) m’aborda, le visage pale et l’air angoissé, en ces termes : « Toi, un habitué du tribunal militaire, pourrais-tu m’expliquer cette situation ? Nous sommes enfermés dans une salle d’audience, avec des soldats en armes.

J’eus alors la malencontreuse idée — et je le regrette après coup— de lui répondre ceci : « Ils nous ont mis dans cette salle d’audience pour nous faire juger. Ils sont donc allés réveiller les officiers qui vont se constituer en Cour martiale, probablement pour nous condamner à mort et nous faire exécuter, tout de suite après, par ces soldats puisque les arrêts de la cour martiale excluent toutes voies de recours ! ». Qu’ai—je fait, mes amis?

Mon interlocuteur est allé au petit coin au moins dix fois dans la soirée. Dieu me pardonne

Et puis il faut croire qu’un excès de courage rend suspect. S’il y a des délits d’excès de vitesse, il existe des crimes d’excès de courage, plus dangereux.

« REALITES » N°197 DU 26  MAI AU 1ER JUIN1989 

 

 

Je ne vais pas faire éditer un livre de citations mais je renvoie l’éditeur, son client et son défenseur de journaliste auprès de ceux qui avaient bénéficié de l’aide et de l’assistance de l’adversaire du jour des diffamateurs, qu’ils s’adressent à la vraie histoire des héros qui avaient nulle fois risqué les douze dalles, dans la lutte contre l’occupant !

Demandez à Salah Bouderbala. Le Fouquier-Tinville du Tribunal révolutionnaire de mai 1953. Son nom de guerre était Lawrence. Demandez à Béchir Zarglayoun, à Ezzeddine Fourati, à Béchir Ben Youssef, à Mohamed Masmoudi, Ahdelhafidh Naoui, Moncef Mazigh, Naceur Ben Sassi Dhaou. Mohsen Zafzouf. Noureddine Ben Jemii. Demandez à Azzouz Rebaï, à sa femme Esma, à Ezzeddine El Abbassi, à Habib Achour, à Ali Chéour, à Tahar Amira. Demandez à Habib Grar, à Ahmed El Bey... Vous ne pouvez pas le demander aux morts comme Hassen Amar, Hosni Attia. Ali Ben Youssef, Mahmoud Badri et autres Ridha Ben Amar. Demandez à Ali Lounis qui a été défendu au tribunal militaire à Constantine en juillet l945. Demandez aux historiens du Chef Mustapha Boulaid défendu devant les tribunaux militaires de Tunis et de Constantine (juin 1955). Demandez à Hamadi Ben Slama bras droit du Mufti de Jérusalem arraché à la peine de mort et libéré après plaidoierie au tribunal militaire de Marseille (1952).

Demandez aux héritiers Ezzeddine Rassaâ condamné à mort en 1944 par le tribunal militaire de Tunis, arrêté à Paris où il fut sauvé après assistance au tribunal militaire de Paris.

Demandez à Hédi Kourda, deux fois condamné à mort par la Cour de Justice de Lyon, comment il a été sauvé à la 3ème audience, après cassation (1948).

Demandez aux détenus de la prison militaire qui s’attendaient à faire inscrire leurs noms en lettres d’or à Séjoumi, par quels moyens ils ont pu s’évader et qui leur avait fait remettre au péril de sa vie, armes, scies à métaux et même chloroforme.

Demandez, demandez... Sachant que la bave du crapaud n’atteint pas la branche colombe. Il faut quand même se résoudre à écrire des Mémoires.