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A nos lecteurs

01/12/1960 Article en PDF téléchargeable


Depuis plusieurs années, avec des amis communistes progressistes et indépendants, nous jugions nécessaire l’existence d’un journal en langue française pour exprimer nos opinions. Mais reprendre la plume vingt ans après, surtout quand on n’est pas un journaliste professionnel, j’avoue que cela présente quelques difficultés.


Dr. Ben SLIMANE

Tribune du Progrès N°1, décembre 1960

 

Depuis plusieurs années, avec des amis communistes progressistes et indépendants, nous jugions nécessaire l’existence d’un journal en langue française pour exprimer nos opinions.

Mais reprendre la plume vingt ans après, surtout quand on n’est pas un journaliste professionnel, j’avoue que cela présente quelques difficultés.

Malgré tous les obstacles, et les risques prévus et imprévus, le sentiment, que ce journal peut être utile, nous encourage à le sortir.

Les personnes, qui vont y collaborer, feront tout leur possible pour réussir dans leur tâche.

La presse de langue française en Tunisie, je veux parler de la presse d’opinion, est absente depuis la liquidation de l’hebdomadaire ACTION. Afrique-Action qui lui succède s’occupe beaucoup plus de l’Afrique que de la Tunisie. La presse quotidienne arabe est orientée et exprime l’opinion du gouvernement et du néo-destour.

Cette situation résulte de restrictions successives à la liberté d’expression. Les citoyens s’expriment librement entre eux, mais cette liberté ne dépasse pas ce stade. La démocratie existe bien dans les textes et les lois. En pratique, elle est plus ou moins appliquée, plutôt moins que plus. Devenue formelle, cette sorte de démocratie a surtout atteint les organisations de masse qui sont les forces motrices du progrès. D’aucun diront que la démocratie est un système d’où peut sortir le mieux et le pire.

Mais la démocratie formelle, fruit de la peur et de l’intérêt particulier, ne peut aboutir qu’à des résultats décevants. D’autant plus décevants que le peuple tunisien a lutté pendant plusieurs dizaines d’années pour l’indépendance et la démocratie. Il se sent frusté quand l’indépendance ne s’accompagne pas de la démocratie.

Le citoyen tunisien est aussi confronté avec d’autres problèmes. Il y a des problèmes économiques dont le plus important est la lutte contre le sous-développement. Pour le résoudre, il est nécessaire d’agir suivant un système de planification qui tienne compte de l’intérêt de toutes les classes de la société, de faire appel au sacrifice de tous les citoyens et d’étendre nos rapports économiques à tous les pays susceptibles de nous aider sans conditions.

Beaucoup de citoyens tunisiens constatent qu’en face des sacrifices consentis par la grande majorité du peuple, des fortunes s’édifient et une novelle bourgeoisie se crée, qui demain, si ce n’est déjà fait, défendra ses privilèges au détriment de l’intérêt général.

D’autres questions sur le plan interne demandent à être étudiées et résolues.

En ce moment, nous sommes surtout confrontés avec la lutte de nos frères algériens pour leur indépendance.

Cette lutte est entrée dans une phase décisive où les manœuvres et les tergiversations peuvent être graves de conséquences. De nouveau, nos frères algériens vont avoir l’occasion de mettre à l’épreuve leurs alliés dans la lutte contre le colonialisme. A cette phase décisive, le peuple algérien ne peut plus se payer de mots. Ce sont les actes qui comptent pour lui, et ces actes doivent renforcer sa position face à un ennemi tortueux et implacable. Pour le peuple tunisien, il s’agira d’apporter sa meilleure contribution à l’union future, c’est-à-dire la participation aux sacrifices nécessaires. 

Liée au problème algérien, la lutte des peuples africains pour leur indépendance pose à notre gouvernement et au peuple tunisien de graves problèmes qu’il est urgent de résoudre dans l’intérêt de l’émancipation politique et sociale de notre continent. Dans de telles circonstances, il est de notre devoir de nous défier de l’égoïsme sacré qui peut être rentable à court terme, mais qui risque de nous porter préjudice dans l’avenir. Notre responsabilité est engagée sur des questions Importantes comme la situation au Congo où l’anticommunisme pousse Mobutu à l’alliance avec Tschombé, comme le problème du syndicalisme en Afrique etc..

Sur le plan international, l’Afrique n’est pas seule à livrer ces batailles incessantes pour sa libération. Les peuples d’Asie et d’Amérique Latine livrent aussi les mêmes batailles contre l’exploitation économique et les régimes politiques installés à cette fin.

Une victoire du peuple congolais, une victoire du peuple cubain pour leur indépendance politique et économique est une victoire pour tous les peuples qu’ils soient d’Asie, d’Afrique ou d’un autre continent.

A notre époque, la solidarité entre toutes les forces de progrès - progrès des peuples et progrès des hommes pour mettre fin à toutes les formes d’exploitation et de misère - devient de plus en plus évidente.

La Guerre d’Algérie a joué un rôle important de clarification entre les forces impérialistes et les forces anti-impérialistes. Toutes les tentatives pour empêcher ou retarder cette clarification n’ont pas résisté à l’épreuve de l’histoire.

Etroitement lié à cette promotion des peuples et des hommes l’instauration de la paix en est la condition essentielle. Pour permettre à cette promotion d’atteindre ses conséquences heureuses -- liberté et bonheur -- la paix est une nécessité impérieuse à l’ère des bombes atomiques et thermonucléaires, car la guerre signifierait le suicide de l’humanité. La Voie de la paix passe d’abord par le désarmement qui engouffre les richesses qui peuvent permettre aux hommes et aux peuples de sortir de la servitude et de la misère,

Dans ce journal, nous essaierons d’avancer sur ce chemin ardu. Les victoires et les progrès du passé sont un gage des promesses de l’avenir.